Un vieux chant

Publié le par Chris

 

 

 

 

                    Un jour qu’Aydigalayou marchait dans la ville de Christophe Point avec celui-ci, il posât une question à voix haute à son homme à tout faire dans cette cité.

                    Faisait-il beau ? Sans doute, le vent était doux et s’amusait à poursuivre les passants dans les rues de la cité. Ceux là vaguaient à leur taches habituelles, les bourgeois se dégourdissaient les jambes en calèches, les ouvriers fumaient leur petit jaune se rendant à leur tache, et les gamins batifolaient au milieu du petit ruisseau formé au milieu de la rue.

                        Quand Aydigalayou posât sa question, ils étaient arrivés sur une grande place. Pourquoi étaient-ils là ? Aydigalayou n’aurait su le dire. Depuis quelques temps il suivait Christophe Point qui, l’esprit occupé par les préparatifs du voyage, allait de ci et de là en ville pour rassembler l’indispensable. Cette place mesurait bien une toise de long et de large, c’était la seule place pavée de la ville, légèrement surélevé, comme si elle voulait surnager de la boue des rues jetant leur flot de passant comme les ruisseaux à la mer. Leurs pas résonnaient sur les larges dalles de pierre, les clochers entourant cette place égratignaient le ciel de leur pic baroque et ouvragé. Au centre de la place était comme posé là par fatigue et épuisement, une lourde statue d’airain, représentant Jacques Brel mangeant des frites.

 

           Voilà quelle fut sa question ?

                « Christophe Point, voilà que je vous observe depuis quelques jours, nagé dans cette ville absurde, et vous vous préoccupé de cents petits détails inutiles comme sont la politique, les intérêts économiques, l’actualité et autres médiocrités dans ce genre. Pourquoi un esprit comme le vôtre, ne se préoccupe pas de métaphysique, linguistique, philosophie et autres sciences nobles ? Vous en auriez le talent, j’en suis sur ! »

                 Christophe Point, un moment surpris, sourit à Aydigalayou, dont il sentait l’amitié sincère, presque naïve, de ce dieu des Carpates, devenus albatros parmis la foule. En lui-même cet être l’intriguait sans cesse, parfois si cultivé, et parfois si décalé, parfois si puissant et soudainement perdu. Il fallait l’éclairer, en parti du moins, se dit-il, car là n’est pas mon rôle. Une fois instruit, quel magnifique orateur il pourrait être cet Aydigalayou. Christophe Point, on s’en rappelle, était présent lorsque Aydigalayou avait tenté piteusement d’enseigner le Carpatisme au peuple. Il n’avait rien compris, Aydigalayou semblait parler une autre langue, pas étonnant que les curieux aient rit devant ce charabia. Il répondit :

- Aydigalayou, à ta question je répondrai par deux exemples. Vois-tu, je pense que l’on est un homme que parmi les autres hommes, et que la philosophie est fille de l’Idéal et de Réel et mère de toutes sciences humaines. Or pour un philosophe cherchant à être humain quoi de mieux que de se préoccuper de ses « broutilles » que sont les sciences humaines ? Viens, j’ai quelque chose à te montrer.

Et ils quittèrent la place.

 

                  Deux ou trois rues plus loin, Christophe Point fit signe à Aydigalayou de s’arrêter et de regarder à travers la vitre d’un café.

                 - Regarde, es que tu l’as vois ? La fille assise juste devant la vitre ? Celle qui a un petit pull bleu, un manteau marron et les cheveux châtains tirés à l’arrière ?

Aydigalayou aperçut alors la fille en question. C’était une fille plutôt jolie. Elle semblait rêver en regardant sa tasse de thé, des cernes avaient creusé son tendre visage, et ses yeux vert pervenche étaient gonflés de rouge. Elle semblait n’attendre personne, son sac à main posé sur la table du café, il semblait plus lâcher que poser, comme son manteau marron, sur ces épaules.

                    Christophe Point en regardant cette fille, dit dans un souffle, avec une indicible tristesse dans la voix :

                   « Tu l’as voit ? Regarde comme elle semble abattue. Tu ne trouves pas ? Vois comme elle n’attend plus rien. Quelle est son histoire ? Banal, presque, comme le sont toujours les histoires qui commencent bien, et qui finissent mal. Tellement banal que l’on n’en fait pas de roman, on les oublie, c’est plus rapide, plus pratique. C’est si simple l’oubli. Elle a une mère, un père, une maison ? Elle a été au lycée, là elle était heureuse ; des amis, un amour –Aydigalayou crut voir une ride apparaître sur le visage de Christophe Point-, un avenir même. Elle était une fille brillante, dans les premiers, toujours, et travailleuse. La suite ressemble à un vol de papillon qui s’est brûlé à une lampe. Après un bac eu avec une mention « très bien », elle se lance en médecine ; secouée, s’accroche, bosse, se défends, griffe le sommeil, endors la fatigue, tire sur le moral ; elle se bat. Mais, les partiels approchent, le stress aussi, toute sa vie ne se résume plus qu’à cela. L’enveloppe blanche timbrée, atterrit dans sa main, deux semaines plus tard. C’est l’échec ; le recalage. Quelque chose se brise en elle, sa volonté s’éparpille, dans sa tête la porte de son avenir se referme à jamais, et là voilà là.

                  Maintenant qu’elle est là, dis–moi un peu Aydigalayou qu’est ce que je peux lui apporter ? Que peut faire le Carpatisme contre cela ? Quel raisonnement, loi, et autres paroles pourra-tu lui dire ? Tu ne sais pas ? Tu hésites et fronces du front ? Moi non plus, je ne sais pas. Mais alors dis-moi Aydigalayou, à quoi te sers ta philosophie, tes découvertes rationnelles, ton Carpatisme, si tu ne sais pas résoudre ce problème ? Le premier homme venu peut s’asseoir à côté d’elle, offrir son épaule à ses larmes, et recoller partiellement les morceaux de son cœur, mais ce ne sera jamais que partiel. La philosophie ne peut-il pas tout guérir ? Le Carpatisme ne le pourrait-il pas ? S’il ne le peut-pas pourquoi les gens t’écouteraient, ô grand Aydigalayou, dieu sage parmis les sages ? »

 

                  Aydigalayou ne savait si c’était le sens des paroles de Christophe Point qui l’avait plus remué ou le ton de sa voix à ce moment-là. Mais déjà Christophe Point avait repris sa marche, en silence et la tête baissée sur ses chaussures. Aydigalayou le suivit sans rien dire, à remuer de sombres pensées.

 

 

 

                     Eux deux marchant, ils allaient maintenant dans de grandes rues larges, bordées de haut mur d’albâtre cachant de grandes propriétés bourgeoises. On devinait les rideaux aux fenêtres, les séraphins de pierre au perron, et les petits bosquets d’arbres sages dans le jardin à travers les barreaux de fer ouvragé des larges grilles.

                    Au coin d’une de ces larges rues, où le passant porte redingote, canne, et chapeau haut de forme, un arbre faisait dépasser insolemment une branche du mur blanc, d’une de ses propriétés. Christophe Point, une fois à l’angle de rue, fit signe à Aydigalayou de le suivre sans poser de question, et d’une souplesse de chat, bondit sur la branche, s’accrocha à deux mains, et d’un mouvement de bascule, atterrit dans l’herbe du jardin de la propriété.

                      Aydigalayou hésita un moment, mais le corps de garde municipal étant à l’extrémité de la rue, il disposait de quelques secondes d’invisibilité, Il grimpa facilement grâce à sa force et à sa grandeur, et passa tant bien que mal de l’autre côté du mur. Christophe Point demeurait derrière une petite statue de pierre, une de ces quelconques Dianes qui ornent les palais de justices désormais, le visage tourné contre la vitre. Aydigalayou s’approcha doucement pour voir ce que contemplait gravement Christophe Point.

 

                    C’était l’intérieur d’un salon, d’un goût déjà ancien, même si la décoration renvoyait une lumière chaude sur l’ensemble de la pièce. Des personnes étaient présentes également. Des jeunes gens, qui manifestement avait fait la fête, à en juger le désordre, les restes de nourriture et d’alcools sur les tables. Cela trônait un peu partout et chacun de ses jeunes gens, ils devaient être une dizaine présente, devaient se demander comment objets, jeu, bouteilles et autres avaient pu arriver à leur place actuelle. Certains s’étaient endormis à même le sol, enroulés de couverture. Déjà quelques-uns étaient debout et vaguaient dans le salon à retrouver les morceaux de leur conscience égarée dans quelque ivresse la veille. Aucun ne faisait attention aux curieux de l’extérieur, et Aydigalayou put voir plus nettement la scène.

Au fond de la pièce un jeune homme riait au sol avec trois jeunes demoiselles qui venaient de se réveiller apparemment, plaisantant des choses futiles de leur age. Mais au milieu des autres personnes qui dormaient, une ne dormait pas. C’était une fille qui regardait, ou voulait donner l’impression de regarder à travers une autre vitre. Elle était assise dans un coin, et d’un léger spasme parfois une larme coulait sur sa joue. Une bonne copine était à côté d’elle et l’a regardait l’air navré et impuissant.


                           Christophe Point murmura de nouveaux ces quelques mots dont Aydigalayou ne perdit pas une miette :

                        « Ca y est ? Tu vois bien la scène ? C’est un peu comme au théâtre, regarde ! Au fond à droite le jeune homme qui s’amuse, tu le vois ? Et la fille qui pleure là, tu l’as vois aussi ? « Pourquoi pleure-t-elle ? » Peut-on se demander, mais moi je te demande pourquoi il rit, lui, le jeune homme ? Tu as deviné Aydigalayou, c’est bien un couple brisé que tu vois. Voilà 6 mois qu’ils étaient ensemble, que tout allait bien, et ce soir, il vient de lui annoncer que c’est fini, voilà, qu’il ne l’aime plus. Elle ne l’avait pas pressenti, cela à du se faire dans le couloir, et puis ils sont revenus, ici, au salon. Lui, il s’amuse, es-ce qu’il a mal ? Es-ce qu’il regrette ? Es-ce que son rire n’est pas juste un masque qu’il se fait aux autres et à lui-même ? Je ne sais pas. En mon cœur, je ne peux deviner qui souffre le plus, qui souffrira le plus. Et là, je te demande encore à toi, Aydigalayou, à toi le plus sage des hommes, que dois-je penser ? Qui dois-je condamner ? Le faut-il ? A quoi me sert la philosophie dans un cas comme cela ? Le Carpatisme a-t-il une solution ? Il me faut tellement une réponse à cela, Aydigalayou. »

 

                        Christophe Point ne pleurait pas, mais une deuxième ride était apparu sur son visage. Aydigalayou savait que cette ride partait dès le premier éclat de rire, mais que la trace resterait là quand même. Il eu pitié de Christophe Point mais là aussi, il ne savait que dire.

               -  Allé, allons-nous en, on va finir par nous voir, et nous aurons des ennuis, allé, allons-nous-en. Dit Christophe Point.

 

 

                     Et en s’éloignant, leurs ombres sombrèrent peu à peu parmis les ombres de la ville, laissant quelque chose de plus au décor. Une larme, juste une petite larme, de chagrin, de rage… d’incompréhension peut-être.

Publié dans fictions d'essai

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