Nouvelle insolite : L'Art

Publié le par Chris

             La Souffrance ou l'Ennui? Quel était le mal dont souffrait le philosophe? Lui même s'interrogeait. Voila des mois, voir des années que ce mal ne le quittait plus. Et cela pour une seule cause ; la question de sa vie n'avait de réponse. A la recherche frénétique de la connaissance, le philosophe, et c'était sa raison de vivre cherchait ce qu'était l'Art.
               Dès qu'il y avait homme, il y avait Art. A chaque fronton, sous chaque couronne et même le pire des envahisseurs cachaient sous le sang des armes et des larmes un souffle artistique ; l'Art. Au plus profond des campagnes, chez le plus reculé des peuples ou encore plus obscur des favelas, se cachait un air inspirateur : l'Art. Chez le premier des enfants, chez les plus aigri des hommes, ou chez le plus simple des simples d'esprits, se dissimulent des mains créatrices ; l'Art. L'Art semblait au philosophe être partout et sans cesse lui échapper. L'Art semblait s'actualiser partout et pourtant toujours son essence même restait inexplicable, lui causant la plus profonde des souffrances.
             Peu à peu la vie lui sembla de plus en plus fade, chaque oeuvre perdant peu à peu son rayonnement au fur et à mesure que l'essence de l'Art lui échappaient toujours. ses épaules se voutèrent avec le temps, et son mal de dos le poursuivait désormais à chaque vernissage, à chaque exposition. Personne n'aimait plus l'Art que lui, croyait-il, mais personne ne prenait moins de plaisir, jour après jour, que lui devant des oeuvres d'Art. Ses pensées filaces devenaient filandreuses et le ciel, et la terre devenait grise et sans enchantement. De plus en plus, il se coupait des hommes, et marchait sans cesse dans des errements qui toujours le ramenaient devant chez lui, l'esprit aussi vide que l'estomac d'un tigre affamé.
           Un jour que, comme à son habitude, le philosophe errait parmis la campagne, au hasard de quelques inhérentes obligations associatives, il la vit. Elle, celle qui lui avait éclairé d'un coup tout le sens de l'existence du bonheur, était là. leur rencontre tenait du quasi-hasard, à part quelques conjectures foireuses d'une association cantonale demandant au philosophe et à Elle une tâche, que le philosophe s'imaginait quelconque, comme à son habitude. Or, déjà, sur ce point il se trompait. Une fresque était à réaliser, et il ne s'agissait pas de gros coup de rouleau tel qu'il l'avait imaginer, mais quelque chose de beaucoup plus fin. le thème était déjà fini, mais restait extrèmement libre et ils étaient libre de peindre leurs idées tant que le lien avec l'association restait visible. Pinceaux, peintures, white spirit et autres atendaient sagement dans un coin.
            A l'abri de la pluie qui tombait dehors, éclairé par deux projecteurs, ils pouvaient commençés. Le premier geste qu'elle fit, que le philosophe remarqua, fut d'allumer le poste de musique, pour que l'inspiration s'élève à eux.
           Ils commencèrent le crayonné, faisant davantage confiance à leur imagination qu'au modèle. Ses yeux brillaient, se plissant au fur et à mesure que les pensées de couleurs s'étoffaient dans sa tête. Elle apprit au philosophe que la composition d'une oeuvre comme la fresque ne devait pas être rationnelle, les éléments ne devaient être séparé ni par le sens, ni par l'espace entre eux. Il fallait chercher l'harmonie des couleurs évidemment, mais aussi de sens dans l'ensemble et entre eux. De plus, dit-elle dans un sourire, si léger si discret, que le philosophe ne l'avait vu que lorqu'elle parlait d'Art, ce sens ne doit pas être trop réfléchi, il faut qu'il vienne à nous, comme un fil que l'on déroule, ou un voile que l'on déchire peu à peu pour dévoiler l'oeuvre. Jamais elle ne parlait plus que lorsqu'il s'agissait d'Art, sa voix chantait à l'oreille du philosophe. Il écoutait, ayant perdu toute vanité intellectuelle, comme un enfant à ses premiers cours de dessin. Et toujours sa voix faisait des poses, des silences porteurs de réflexions, et toujours, elle disait son doute; "peut-être" "je ne sais pas" revenaient, comme des "pardon" perdus sur l'océan de la vie. Elle ne prétendait pas tout savoir et doutait de chacun de ses mots.
               Le philosophe admirait sa taille fine, tendu comme la peau d'un tambour lorsque d'un coup de crayon, elle traçait le geste parfait, faisant surgir le réel de là où il n'y avait qu'une surface blanche. Lui, il essayait assez lamentablement de faire émerger des formes vagues de son crayon, exprimant la forme de ce qu'il imaginait , mais sa main doutait sans cesse. Elle restait concentré, rejetant ses cheveux chatains à l'arrière, parfois elle riait soudainement quand un bonhomme apparassait sous ces doigts avec une telle expression, si vivante, que, surprise et joyeuse, elle se laissait surprendre par son propre dessin. Le philosophe peignait ensuite, tentant toujours de faire plus gros, sans trop entrer dans les détails, sachant sa maladresse. Il lécoutait, buvant ses paroles légères et douces; elle n'aimait pas tracer les traits distincts car elle avait peur des limites. Les limites définissent les choses, et délimitent les essences, elle n'avait aucunement la prétention de savoir définir le réel. De plus, elle reconnaissait que tout son art n'était que matériel et que cela avait bien peu d'importance face à tout le reste de la vie.
           L'après-midi se passa ainsi, dans cette grange, tout les deux, la musique joviale et le bruit de la pluie tintant à leurs oreilles. Les dessins apparassaient sous leurs doigts, la peinture s'écoulait sur la fresque et les couleurs étincelaient. Le philosophe ne vit pas le temps passer, tout attentif qu'il était à son rire, à son regard si bleu. d'une parole, elle détruisait théories des anciens, prétentions de contemporains et supposition de théologiens de l'Art. Elle vivait de l'Art, était Art. Ce n'est seulement qu'à la fin, lorsque tout deux reculèrent pour admirer l'ensemble de la fresque, qu'elle lui fit un sourire large en lui demandant ce qu'il en pensait, qu'il ne put rien dire, tant elle rayonnait de beauté.
               A quoi servent toutes les questions que l'on se pose sur l'Art? Il suffit de plonger dans la création elle-même, d'y abandonner toutes théories abstraites et rationnelles. Le philosophe y avait plongé, tenu, comme un enfant maladroit, par la main de son âme d'artiste. Son coeur était maintenant léger, et son esprit reposé. Le bonheur pointa le bout du nez. Le philosophe ne put que sourire face à elle et l'embrasser, il avait enfin trouvé une réponse à sa mortelle question.

Publié dans L'Ange

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